Kalon Glaz & Yann Minh « Humans VS A.I. Robots »

Laurent Courau
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Humans VS AI Robots

Humans VS A.I. Robots, une exposition collective organisée par les artistes Kalon Glaz et Yann Minh, du 15 janvier au 24 février 2024, à la galerie Satellite (Paris, 75011). 32 artistes et hacktivistes des arts numériques exposent dessins, peintures, sculptures, art numérique, art augmenté, performances, prompt art, AI art et art vidéo, à l’occasion d’une exposition unique qui confronte les humains aux intelligences artificielles.

Avec 河津真理, Nao Abs, Olivier Auber, Maurice Benayoun, Pierre Berger, Johann Bodin (YOZ), Philippe Boisnard, Michaël « Systaime » Borras, Philippe Bouchet (Phil Manchu), Daniel Cabanis, France Cadet, Sigrid Coggins, Laurent Courau, Hubert de Lartigue, Jacques Donguy,  Kalon Glaz, Karen Guillorel, Joël Hubaut, Gaël InfiniVerse, Stéphane Levallois, Philippe Jozelon, Juan Le Parc, Jerome Lefdup, Nicolas Magat, Michaela, Yann Minh, Tutsy Navarathna, Jo Pinto Maia, Zaven Paré,  Patrice Pit Hubert, Lalie Sorbet,  Marianne Tostivint, Marie Vetier Nappey (Cherry Manga Mvn sur Second Life), Filipe Vilas-Boas, Jean-Marie Vives, Eric Wenger. 

Page officielle de l’évènement Humans VS A.I. Robots

Visite guidée tous les samedis à 18:00
Finissage le lundi 24 février à 20:00

Galerie Satellite – 7, rue François de Neufchâteau
75011 Paris, France (M° Charonne)

Illustration de couverture © Joël Hubaut
Portraits de Yann Minh et de Kalon Glaz © DR
Humans VS AI Robots

Comment est née l’idée de cette exposition, qui « oppose » humains et intelligence artificielle robotique ? Serait-ce une manière de nous suggérer qu’il n’y a pas de véritable conflit, mais peut-être plus une forme de symbiose entre Homo sapiens et ses algorithmes ? Ce qui s’esquisse au travers des œuvres exposées à la galerie Satellite ?

L’un des éléments commun à tous les artistes sélectionnés, c’est que ce sont pour la plupart des amis de longue date. Mais aussi, comme moi, des nøønautes, des explorateurs des espaces informationnels du cyberespace et de la nøøsphère, habités par leur sensualité et leurs voyages. Pour nous, cette exposition est une sorte de « hacking » cyberpunk et provocateur. Le milieu de l’art reste très cloisonné, avec des chapelles. Et, entre autres choses, une suprématie conceptuelle aseptisée qui impose sa neutralité normalisatrice depuis des décennies. Nous avions envie de faire cohabiter des œuvres allant du conceptuel à la figuration réaliste, des œuvres utilisant des techniques traditionnelles et des œuvres d’art numériques. 

Nous souhaitions aussi confronter en grandeur réelle, dans un même espace physique, des œuvres d’art graphiques réalisées avec des techniques traditionnelles par des artistes talentueux, et donc des œuvres uniques, juxtaposées avec des œuvres d’art réalisées avec des techniques numériques ou par intelligence artificielle, imprimées ou en vidéo, donc dupliquables ou immatérielles. Cela permet aux esthètes d’apprécier ce qui fait leurs spécificités, leurs magies ineffables. Chacun peut ainsi comparer son ressenti subjectif vis-à-vis des œuvres présentées. En particulier, nous avons eu la chance d’avoir des originaux d’artistes notoires et talentueux comme Stéphane Levallois. Mais aussi des maîtres du photoréalisme, comme Hubert de Lartigue et Philippe Bouchet (Manchu), dont les œuvres exposées permettent la comparaison avec les tirages numériques d’autres œuvres photoréalistes réalisées en numérique, dont les nôtres.

Une anecdote à ce sujet. Roger Biriotti et Mireille Mallet, qui était la comédienne de mon métavers immersif Media ØØØ présenté à Beaubourg en 1983, organisaient pendant les Nuits blanches, dans le quartier parisien du Marais, une projection simultanée de court-métrages en cinéma et en vidéo, avec leur collectif Voisimages. Avec d’un côté un projecteur de cinéma 35 mm et de l’autre un projecteur vidéo haute définition, dont la résolution graphique et la stabilité sont supérieures à celles du cinéma. Il est très rare de pouvoir voir simultanément ces deux techniques de projection juxtaposées. Et à cette occasion, j’ai perçu une différence subtile, étrange, ineffable, entre la projection cinématographique et la projection vidéo. Émotion plus sensuelle que rationnelle. Bien que de moins bonne qualité, la projection cinématographique a plus de « chair » et de sensualité que la projection vidéo. 

De par son dispositif technique, le signal vidéo appartient plus au domaine abstrait immatériel des nombres, Aleph-zéro, alors que la projection cinématographique, par son dispositif mécanique et son support photographique appartient à l’ensemble Aleph-un, que nous appelons pour simplifier « réalité » ou « monde physique ». L’image projetée existe dans l’espace matériel sous la forme d’une multitude de photogrammes. 

Dans notre exposition Humans VS A.I. Robots, en juxtaposant des tirages numériques avec des peintures ou des dessins traditionnels (en particulier photoréalistes), j’ai retrouvé cette très subtile différence, quasi métaphysique, entre les œuvres de nature numérique et les œuvres matérielles. Pour faire des analogies, je dirais que malgré leurs sujets, les peintures photoréalistes d’Hubert de Lartigue et de Manchu sont plus proches des sculptures de Patrice Pit Hubert par leur matérialité et par leur unicité, à l’opposé de mes tirages numériques photoréalistes, mais duplicables à l’infini, qui sont plus proches de l’impermanence immatérielle des projections vidéo. Et cette différence structurelle métaphysique devient perceptible par la juxtaposition des œuvres au sein de l’espace unique de la galerie Satellite de Marie Kawazu.

C’était aussi pour nous l’occasion de réunir des amis de longue date, habités par leurs vocations, et je regrette que nous n’ayons pas pu exposer, faute de place, d’autres amis artistes talentueux. Les vernissages d’expositions collectives sont des rituels de cybermagie, dont je pense que l’on peut remonter les origines aux premiers chamans et artistes, 50 000 ans en arrière. Nous sommes des explorateurs de la cybersphère et de la nøøsphère. L’exposition et le partage de nos explorations est un acte existentiel essentiel et salvateur, à la fois pour nous et pour le public d’esthètes qui nous accompagnent à cette occasion. Lors du vernissage, cette communion spirituelle entre nøønautes était perceptible. Des énergies puissantes, subtiles et vitales circulaient entre nous. 

Cette exposition est aussi l’occasion de transgresser et de dénoncer un peu la pudibonderie infantile des major companies et de la normalisation bien pensante de leurs réseaux sociaux et de leurs outils numériques. Par exemple, nous sommes très contents d’avoir pu exposer les œuvres numériques augmentées de la dominatrice BDSM Michaela (alias Maîtresse Elsa), tes deux oeuvres numériques, le magnifique tableau 3d de Jean-Marie Vivès qui va servir de support à une peinture monumentale, et les promptographies augmentées d’Olivier Auber qui ont invoqué le fantôme de Gustave Courbet, dont la fameuse Origine du monde a hacké les réseaux neuromimétiques des intelligences artificielles.

Humans VS A.I. Robots présente les créations de 33 artistes, venus de domaines parfois très différents pour un résultat d’une grande cohérence, même si kaléidoscopique. Comment en êtes-vous arrivés à cette sélection, qui mixe tant les techniques et les supports de création, que les générations ? Qu’est-ce qui a motivé vos choix d’artistes ?

Comme je le disais plus haut, d’abord et avant tout, ce sont, pour la très grande majorité d’entre eux, des amis de longue date. C’est une exposition de copains et de copines, et nous assumons complètement la légitimité de nos choix, car nous sommes aussi des artistes. Mes ami.e.s ont du talent, et certain.e.s sont de pointure internationale. D’ailleurs, je les remercie d’avoir pris le temps et l’énergie de contribuer à Humans VS A.I. Robots malgré le peu de moyen dont nous disposions.

Il se trouve que je suis un hacktiviste cyberpunk depuis toujours, et j’ai grandi en côtoyant d’autres acteurs notoires des sphères de l’imaginaire, du fantastique, des arts plastiques, dont les créations sont emblématiques de l’évolution contemporaine à la fois des technologies, mais aussi de l’illustration, de la science-fiction, de la cyberculture, des jeux vidéos, de l’art numérique, de l’art vidéo, des intelligences artificielles, mais aussi des métavers ou des mondes persistants. Comme la « buildeuse » Cherry Manga, dont les sculptures virtuelles de son avatar sur Second Life se matérialisent AFK (Away From Keyboard).

Le choix a donc été simple et difficile. Simplen car nous n’avions que l’embarras du choix parmi nos proches. Et difficile, car nous n’avons pas pu, faute d’espace, inviter une dizaine d’amis artistes qui avaient toute leur place dans cette exposition et qui, j’en suis certain, nous auraient aussi confié leurs œuvres avec plaisir. Après, comme tu le dis, le résultat est kaléidoscopique, mais il y a paradoxalement une cohérence forte et jubilatoire que j’adore. La plupart des visiteurs le perçoivent. Malgré la diversité apparente des œuvres et leur traitement, les énergies sont là… Par une étrange alchimie mémétique, il émane de l’exposition une forme de complétude spirituelle.

Les nøøentités invoquées habitent la galerie, elles ont franchi les nøøportails accrochés aux murs, et hantent et inspirent la coursive étroite du Satellite nøøstationnaire pour encore quelques semaines. Venez visiter l’expo, puis, fermez les yeux au centre de la galerie… et vous pourrez percevoir la présence poïétique subtile des nøøentités qui glissent autour de nous.

Face au succès de cette exposition, on ne peut que se poser la question d’une suite. Au-delà des centres d’art numérique existants, souvent ternes et ennuyeux, votre approche libre, pop et décomplexée me semble apporter une fraîcheur plus que bienvenue. Avez-vous déjà des idées ou des envies pour le futur, que Mutation se fera un plaisir de soutenir et de relayer ?

Oui, l’organisation de cette exposition a été un boulot énorme, qui n’est pas fini. Et que nous avons en grande partie financé avec l’aide de donateurs qui nous ont permis d’aider certains artistes en difficulté, de participer au vernissage. C’est un succès, comme l’avait été notre précédente exposition Happy Birthday Robots.

C’est encourageant et nous envisageons de proposer à certaines institutions disposant de possibilités de financement des expositions similaires qui confrontent art numérique et art traditionnel. Avec comme pour Humans VS A.I. Robots, des interviews d’artistes, l’édition d’un catalogue, des performances, des plateaux avec des débats et des master classes.

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