Frédéric Temps « L’Étrange Festival 2024 – 30ème anniversaire »

Laurent Courau
605 vues

En direct de sa crypte au Forum des images de Paris, une longue et riche entrevue avec Frédéric Temps. Où le grand ordonnateur de L’Étrange Festival, dont le 30ème anniversaire se déroule à Paris du 03 au 15 septembre 2024, revient sur les origines et les premières éditions de cet évènement artistique et cinématographique hors-normes.

Mais aussi l’occasion d’évoquer le grand parrain du festival, Alejandro Jodorowsky, qui gratifiera le public d’une première mondiale, le vendredi 13 septembre à 19:00, avec la version redux de son film Tusk, puis de parcourir ensemble et en exclusivité les pages du premier livre officiel de la manifestation 30 ans d’Étrange Festival.

Ou encore de nous interroger sur le présent et l’avenir des marges audiovisuelles, mais aussi de manière plus générale du cinématographe à l’heure des intelligences artificielles. Sans oublier le très riche programme de la soirée L’Étrange Musique du mardi 10 septembre, qui réunira rien moins que  Jg Thirlwell, alias Foetus, Ndox Électrique et Larège.

Rendez-vous dans les prochaines heures, sinon les prochains jours, au Forum des images  pour un immense festin de rencontres, d’images et de sons. Sans oublier la tenue de l’exposition Mirabilia Creaturae, au Cabinet des curieux, qui présentera 30 créatures extraordinaires à l’occasion de ce 30ème anniversaire.

L’Étrange Festival 2024 – 30ème anniversaire
La billetterie en ligne de L’Étrange Festival

Images & photographies d’illustration © Le groupe Devo par Janet Macoska, Schirkoa: In Lies We Trust, un film d’Ishan Shukla, Body Odyssey, un film de Grazia Tricarico, Escape from the 21st Century, un film de Yang Li, 30 ans d’Étrange Festival (Carlotta films), Alejandro Jodorowsky (DR)

Commençons peut-être par rendre hommage aux origines de L’Étrange Festival ? Le texte du catalogue de cette édition 2024 évoque la naissance de l’évènement au début des années 1990, entre « deux périodes charnières de l’âge d’or du cinéma, des marges et d’un certain avenir des images ». Aurais-tu  la gentillesse de revenir pour nos lecteurs sur cette époque, désormais lointaine, d’avant l’apparition de l’Internet et du DVD ?

C’est très simple. Nous sommes arrivés au début des années 1990, dans une période creuse. À savoir que les années 1980 avaient fait les beaux jours des vidéoclubs avec les cassettes VHS. Une époque, où tout le cinéma dit de genre, fantastique, d’horreur et autres, s’est retrouvé privilégié sur les étagères de ces magasins.

Au même titre que le cinéma pornographique, ces cinémas vivaient uniquement grâce au marché de la vidéo parallèle, sans avoir accès aux salles. Souvenons-nous de fameuses collections de cassettes VHS, comme celle de René Chateau titrée « les films que vous ne verrez jamais au cinéma ou à la télévision ». Parce que, justement, ces films ne passaient pas la barrière des commissions de censure ou que les distributeurs ne voulaient pas se charger de les placer dans les salles de cinéma.

À force d’en parler entre nous, de constater que tous ces films restaient sur les étagères des vidéoclubs, lorsque nous ne devions pas les commander directement chez nous en VHS depuis l’étranger pour avoir une chance de les voir, nous nous sommes dit que ce n’était plus possible. Qu’il fallait que ces œuvres retrouvent leur véritable place. C’est-à-dire sur un écran de cinéma. Et à partir de là, nous allons nous relever les manches pour créer une manifestation, où nous montrerons tous ces films.

C’est comme ça que nous avons a eu l’idée de créer le festival, qui a démarré tout de suite en trombe. Ça a été un franc succès immédiat, et l’évènement n’a cessé par la suite de se développer. Après nous être contentés, pour des raisons d’abord budgétaires, de montrer des films qui ne sortaient pas des étagères des distributeurs ou des vendeurs, sinon des films de patrimoine, nous nous sommes progressivement recentrés sur des exclusivités et de la nouveauté. Et nous sommes allés, toujours plus, vers une manifestation d’envergure internationale, pour en arriver ce qu’est devenu L’Étrange Festival aujourd’hui.

Revenons sur les conditions matérielles des premières éditions de L’Étrange Festival. On imagine aisément que c’était beaucoup plus « souterrain » et bricolé qu’aujourd’hui ?

Je m’amuse, encore souvent, de lire dans les gazettes que L’Étrange Festival est une manifestation « underground ». Oui, c’est un fait, ce fut le cas à une époque. Mais tu ne peux pas te considérer « underground » lorsque tu disposes dorénavant d’aides d’État et ministérielles pour financer ton festival. Ce n’est donc plus un évènement que je qualifierais d’« underground ». Et tant mieux d’ailleurs, dans la mesure où ça nous permet de travailler correctement.

Mais c’est vrai que la création du festival s’est faite, vraiment, avec des queues de cerise. On n’avait absolument pas de budget pour travailler. Je ne me souviens plus du montant exact, mais c’était ridicule. Cependant, tout le monde a joué le jeu dès le départ : les distributeurs, les producteurs étrangers et les réalisateurs. Ne serait-ce que pour venir tout montrer leurs films, au moins une fois, sur un écran de cinéma à Paris. Nous n’avons donc pas eu de difficultés pour obtenir des copies, à cette époque.

Nous avons reçu un accueil enthousiaste lorsque nous sommes allés présenter le projet à l’équipe du Passage du Nord-Ouest, une salle de concerts et de spectacles qui se trouvait rue du Faubourg-Montmartre, juste en face du Palace. Ils ont trouvé la programmation formidable et accepté de jouer le jeu, jusque dans la conception même de la salle. Le Passage du Nord-Ouest était déjà équipé d’un grand bar. Il faut se rappeler qu’il était encore possible fumer dans les salles de concert des années 1990.

Dans la foulée, ils sont allés crapahuter dans tous les Emmaüs, toutes les solderies et autres Puces, afin d’y acheter des sièges, des canapés et des poufs abimés, mais aussi des chutes de tissus pour les restaurer. Ils ont transformé des caddies éventrés en sofas. Ce qui a donné naissance à un lieu complètement bizarroïde et alternatif. Partant du fait qu’on y voyait des films particuliers et rares, dans un cadre alors on ne peut plus inédit, cet appareillage singulier en a fait un « étrange festival ».

Et c’est vrai que ça a marché tout de suite, parce qu’il ne se passait rien durant l’été à Paris. Même si on sait que l’industrie du cinéma a depuis copié le standard américain estival pour sortir des grosses machines. Et que tu as maintenant des films qui sortent en été comme si on était au mois de décembre, ce n’était vraiment pas le cas dans les années 1990. Tout un tas de gens qui se trouvaient à Paris en plein été, qu’il s’agisse de Parisiens ou d’étrangers en goguette, étaient ravis d’avoir accès à ce type de manifestation. L’ambiance a été très cosmopolite, dès le départ. On entendait parler toutes les langues, dans les couloirs et dans la salle. Et on y trouvait vraiment tous les publics possibles : très étudiants, très jeunes, très touristes, etc.

Le succès de l’évènement était d’autant plus intéressant que les médias ne l’ont pas relayé. C’est un succès qui s’est vraiment propagé au travers de son propre public, sans l’apport de la presse et des médias. Ce qui perdure d’une certaine manière, même si aujourd’hui la manifestation est vraiment reconnue internationalement. Il y a encore beaucoup de bouche-à-oreille d’après les sondages que nous effectuons. De nombreux spectateurs viennent encore parce que des amis leur en ont parlé.

Quelque part, il s’agit là de l’un des attraits importants du festival. Il n’est pas lié à un diktat classique des médias ou à une politique de communication. Non, ça se fait vraiment de manière « bon enfant », encore 30 ans plus tard. Comme on le dit à chaque fois, et ça n’a rien de démagogique, L’Étrange Festival est un vrai succès public et une manifestation publique. Ce sont les gens qui viennent d’en faire l’expérience ou les habitués, qui en parlent entre eux, qui le vendent, qui en font la promotion par eux-mêmes. Ce sont donc nos spectateurs qui en sont les vrais producteurs, puisque le moteur même de la manifestation, ce sont eux.

Quelle est l’humeur, aujourd’hui en septembre 2024, à quelques heures de l’ouverture du 30ème anniversaire de L’Étrange Festival ? 

Sereine, tout se prépare pour le mieux. Avec, espérons-le, une véritable attente. Et puis surtout, cette édition anniversaire de L’Étrange Festival constituera une découverte pour un nouveau public, qui va découvrir le festival. Enfin !

Tous les voyants sont au vert pour une « édition type » de L’Étrange Festival, à l’occasion de ce 30ème anniversaire. Là où nous sommes très contents, c’est que nous avons pu revenir à nos fondamentaux et à l’ADN même du festival. Tant en matière d’exclusivités, que d’expositions, de concerts ou de grandes rétrospectives.

Tu viens d’évoquer la présence de nouveaux venus, parmi le public de cette édition anniversaire. Qu’est-ce qui motiverait  cette affluence ? Et de manière générale, que peut-on dire du public d’un évènement aussi… particulier ?

On le voit à partir d’échanges sur les réseaux, au travers de questions posées par des personnes qui ne sont pas des habituées du festival et qui s’interrogent sur la billetterie. Ce qui nous fait dire, en effet, qu’elles ne sont jamais venues et qu’elles vont découvrir le festival pour la première fois. Ce à quoi s’ajoute l’effet bien connu des anniversaires, pour tout type de manifestation, qui fait que tu draines beaucoup plus de curieux, beaucoup plus de de nouveaux spectateurs qui veulent faire l’expérience de la manifestation. Si tout se présente bien, nous aurons donc encore une augmentation de fréquentation cette année.

Le public de L’Étrange Festival est par nature très varié, ce qui me semble tout à fait salvateur. Il ne s’agit pas que de geeks ou d’aficionados de certaines cinématographies. Il y a vraiment tous types de profils, de tous les âges, y compris des curieux qui viennent découvrir le festival pour la première fois. Je trouve parfois amusant de trouver accosté dans les couloirs de la manifestation par des gens d’apparence tout à fait normale, d’une cinquantaine ou d’une soixantaine d’années qui viennent, si ce n’est nous féliciter, en tout cas nous poser des questions, parce que justement, ils découvrent la manifestation.

De par les visuels que nous diffusons dans notre communication, ils ne s’attendaient pas à un festival aussi jovial et accueillant. Sur la base de cinématographies qui pourraient – a priori – encore faire peur, ou du moins intriguer. Et finalement, ces nouveaux spectateurs se rendent compte que nous avons vraiment réussi ce que nous voulions accomplir, à savoir monter une espèce de grande auberge espagnole. Où tant les artistes invités que les spectateurs peuvent se croiser, discuter au bar, etc.

Ça me semble être le point important d’une manifestation, quelle qu’elle soit, pas seulement cinématographique. Et c’est quelque chose que nous avons réussi à travers les années. À savoir que c’est une grande fête, où les gens viennent se retrouver, tous ensemble, pour partager un certain regard du cinéma, de la création. Et que tout ça se fasse de manière « bon enfant ». Le public s’en trouve donc très bigarré. Bien sûr, il y a quand même les cinéphiles pointus de France, de Navarre, et même de pays frontaliers, qui répondent présents pour découvrir des œuvres qui sont majoritairement des exclusivités. Mais il y a aussi, et c’est tout-à-fait salvateur, un vrai public de curieux qui ont envie de découvrir la manifestation.

Puisque nous évoquions l’« underground » à propos des premières heures de L’Étrange Festival, que te semble-t-il rester du « cinéma des marges », aujourd’hui en 2024 ?

Alors évidemment, il est intéressant de voir qu’en trois décennies, nous en sommes arrivés à une sorte de désert des Tartares cinématographique.

Un changement d’importance, puisque durant toutes ces années nous avons fait découvrir en France (et nous n’en sommes pas peu fiers) certains cinéastes aujourd’hui reconnus mondialement. On peut citer Nicolas Winding Refn, Takashi Miike, Sono Sion et beaucoup d’autres. Gaspar Noé, bien sûr, que nous avons très largement soutenu à ses débuts, avec sa compagne, Lucile Hadžihalilović. Ils ont été des enfants du festival, si je puis me permettre, et nous l’ont d’ailleurs bien rendu.

Aujourd’hui, il me semble intéressant de constater que des manifestations plus mainstream ou officielles, comme le Festival de Cannes ou la Mostra de Venise, ont repris le travail de ces cinéastes et les invitent dorénavant en compétition sur leur tapis rouge. Ce qui prouve que nous ne nous étions pas trompés et que leurs carrières méritaient d’être suivies. Ce qui est dû au fait que ce qui faisait peur, ce qui tenait de l’anormalité et de l’inconnu, devient très vite mainstream, une fois que l’on y a goûté.

Prenons l’exemple très concret d’un David Lynch à ses tout débuts, avec un film comme Eraserhead. C’était considéré comme du cinéma marginal, des choses que l’on n’allait pas forcément voir. Il restait cantonné aux séances de minuit, tant aux États-Unis qu’à Paris. Aujourd’hui, David Lynch fait figure quasiment figure d’institution. Il fait de la publicité, collabore avec la mode, apparaît sur des parfums, etc.

Que cette récupération soit salvatrice, je ne saurais dire, mais elle souligne en tout cas que nous ne nous sommes pas trompés dans nos choix. Alors c’est vrai, ce que nous avons fait découvrir, au fil des années, est aujourd’hui devenu mainstream. Nous ne sommes plus dans « l’underground ». Et peut-être, quelque part, que l’underground lui-même s’est complètement volatilisé dans la communication, dans la publicité, dans le commerce. Où tout le monde récupère les idées un tant soit peu peu singulières, bizarroïdes ou improbables.

Nous traversons une époque en perpétuelle accélération, notamment d’un point de vue technologique.  Comment imagines-tu l’avenir du cinématographe en tant que support, et plus particulièrement des films de genre ? 

Nous continuons à soutenir la nouvelle génération. Ce sera encore le cas cette année, avec un focus sur quatre jeunes cinéastes français, à qui nous avons proposé de fouiller dans les archives historiques du festival pour en ressortir douze œuvres historiques qu’ils ont eux-mêmes aimées. Et puis, c’est un peu un secret de polichinelle, puisqu’on n’arrête pas d’en entendre parler. Il semblerait qu’il y ait comme un renouveau, aujourd’hui, autour de jeunes talents, notamment féminins. Puisqu’il y a beaucoup de femmes qui prennent la main.

À côté de ça, on ne cesse de nous parler de l’intelligence artificielle qui va être de plus en plus utilisée, tant sur le développement de scénarios, que des images. Mais je suis foutrement incapable de dire ce que deviendra le cinéma, ne serait-ce que dans une dizaine d’années. Godard se plaisait à répéter, sans cesse, que le cinéma était mort. Je ne dirais pas que le cinématographe est encore en grande forme. Ça va prendre une autre forme, c’est tout. Il faut juste faire attention en fait, à la redite, à l’éternelle redite. Beaucoup de choses ont déjà été développées, montrées, expérimentées. On voit de plus en plus, si ce n’est une espèce de redite, en tout cas des photocopies des genres. Ce qui peut nous amener à penser que ça s’essouffle. Est-ce que ça prendra une autre forme ? Via l’intelligence artificielle ou d’autres médias ?

Je ne peux pas encore en parler, parce que c’est un peu exclusif et que c’est encore en préparation. Un très grand cinéaste, et même plus qu’un cinéaste : un artiste mondialement connu, est en train de travailler sur un nouveau projet. Et j’utilise le terme « projet » à dessein, parce que tout le monde s’attendait à ce que ce soit un film. Or, pour des raisons budgétaires et face à la complexité de la chose, il a rebondi vers un tout autre projet, totalement expérimental dans sa conception. Alors qu’il ne fait pas lui-même partie de cette nouvelle génération, mais reste plutôt l’un de nos derniers grands et vaillants guerriers.

Si lui le fait, d’autres auront peut-être cette même idée et partiront sur un autre système de présentation, pour une œuvre qui ne s’appellera peut-être plus forcément un film, mais une « œuvre ». On va voir ce que ça va donner. Je ne suis pas médium, ni expert en communication des images. Mais un changement est en train de s’opérer. C’est évident.

Puisque nous évoquions une multiplication des médias et des supports, j’aimerais en profiter pour évoquer la soirée L’Étrange Musique, qui se tiendra le mardi 10 septembre, avec Larège, Ndox électrique et J.G.Thirlwell alias Fœtus ?

Il est vrai que nous avons pu revenir aussi, à l’occasion de cette 30ème édition, pour une soirée musicale. Avec une très grosse tête d’affiche pour une création mondiale originale, à savoir JG Thirlwell, plus communément connu sous le nom de Foetus, qui a travaillé sur un film important de l’artiste américain Harry Smith, connu pour ses courts métrages, son travail graphique et ses recherches sonores. Harry Smith n’aura eu le temps de ne réaliser qu’un seul long métrage intitulé Heaven & Earth Magic, sur lequel Jim a tout de suite accepté de s’atteler pour une création musicale originale.

Juste avant, il y aura la découverte d’un combo absolument épatant, franco-sénégalais : Ndox Electrique. L’un des nombreux projets de François R. Cambuzat, musicien français et guitariste incroyable, qui opère beaucoup de développements et de croisements avec des formations nord-africaines, des pays d’Afrique de l’Ouest ou d’Asie centrale. Ce sera encore une découverte car, étonnamment et malgré la qualité de leur travail, ils n’ont jamais eu l’occasion de jouer à Paris. Et ceci, bien qu’ils aient tourné un peu partout dans le monde. Ils vont donc faire une seule date à Paris, qui sera spécifiquement celle de L’Étrange Musique.

Et en ouverture, nous aurons également, comme nous le faisons à chaque fois, l’occasion de découvrir une formation française plutôt épatante. Avec le nouveau duo composé de l’artiste française, musicienne et cinéaste Régine Cirotteau,  accompagnée par Manu Siachoua (Ultra Zook, Kafka). Un mélange assez inattendu, une forme poétique et visuelle multilingue, avec beaucoup d’images et de vidéos, chantée directement en plusieurs langues : italien, allemand, français, anglais.

Une ouverture parfaite selon nous, qui amènera une montée successive jusqu’à la création de Jim Thirlwell. Cette soirée devrait être, encore, un très beau cadeau d’anniversaire pour cette édition. 

Profitons de cet entretien pour faire l’article d’une grande nouveauté : le fameux livre  officiel de L’Étrange Festival. Qu’est-ce qui a motivé la réalisation de cet ouvrage ?

En fait, nous avions failli l’éditer pour l’anniversaire de nos 25 ans. Et puis, pour diverses raisons, le projet avait été mis de côté, avant de revenir à la charge pour ce 30ème anniversaire.

Nous sommes partis sur un axe très simple. La première idée a été de proposer à tout un tas d’artistes du monde entier, passés par le festival, d’écrire un texte sur un autre artiste, sur un genre ou sur un film spécifique, qui les aurait marqués et incontournable selon nous de l’histoire du cinéma depuis trente ans. Il y a donc déjà ces croisements entre artistes de différentes obédiences, dont des musiciens, des plasticiens, des cinéastes et des écrivains. Nous avons mélangé toutes les formes d’art, parce qu’il n’y a pas que le cinéma qui nous concerne. Tous les arts nous concernent.

Il y a aussi une partie historique. On nous l’a tellement demandé que nous avons retracé toute l’intégralité, classée par année, par édition, par chapitre, par genre, de tout ce qui a été montré au festival. Les passionnés vont ainsi pouvoir enfin récupérer les milliers et les milliers de films qui ont été présentés de manière rétrospective ou découverts à L’Étrange Festival.

Et enfin, une partie graphique, parce que c’est un domaine qui nous est très cher. Beaucoup d’artistes, et non des moindres, ont joué le jeu et réalisé des dessins spécifiques précisément pour cet ouvrage. Ce sera donc être un très bel écrin, si je puis dire, de près de 320 pages, dans lequel on va retrouver tout bonnement le parfum même de ce qu’est L’Étrange Festival et de ce qu’il a voulu être depuis trente  ans. 

Et enfin, pour conclure, j’aimerais que tu nous touches un mot de celui que l’on peut considérer comme le grand parrain du festival et qui assure la préface de ce livre. Je fais, bien sûr, référence à Alejandro Jodorowsky, avec lequel L’Étrange Festival entretient désormais une relation de longue date.

Ce n’est pas peu dire, puisque le plus beau cadeau qu’Alejandro pouvait nous faire du haut de ses 96 ans, était la préparation du redux de l’un de ses films, à savoir Tusk.

Film qui était vraiment laissé pour compte. Une production faite à l’époque de manière assez improbable, puisqu’il s’agissait d’une production Gaumont, donc française, tournée en Inde autour d’un éléphant sacré. Un film qu’il avait vraiment conçu comme un film pour enfant, même si l’on y retrouve tous ses grigris habituels.

Une grande déception pour lui, de par la volonté des producteurs de l’époque qui ont eu tort, comme c’est souvent le cas, de rester arc-boutés sur le montage du film, puisque sa sortie fut un fiasco total. Ce qui avait beaucoup marqué Alejandro, lui faisant dire que « de toute façon, un jour il faudrait qu’il reprenne le film ».

Ça a pris beaucoup de temps, mais Alejandro nous avait promis que la première mondiale de cette nouvelle version aurait lieu à L’Étrange Festival. Ce qu’on n’avions pas prévu, ni lui, ni nous, c’est que cette date fatidique serait celle de notre 30ème anniversaire.

Ce qui tombe à point nommé. Je pense que nous aurons encore droit à un bel événement ce soir-là, parce qu’Alejandro peut se montrer quasiment plus long, sans ironie aucune, que le film lui même, dans sa présentation. Parce qu’il raconte énormément de choses passionnantes, et surtout hilarantes, ce qui nous promet un one-man show en avant-poste de la projection du film.

C’est un grand événement, très important pour nous et pour ce 30ème anniversaire. Puisque dès la création du festival et parmi les œuvres que nous voulions faire découvrir, figuraient La Montagne sacrée et El Topo, ses deux films mythiques que nous avions retrouvés pour des projections en sa présence. Alejandro, s’était montré lui-même très ému de revoir ses films sur grand écran.

De voir, quasiment trois décennies plus tard, que nous arrivons encore à être présents avec lui sur scène, pour de nouveau faire découvrir son œuvre, c’est l’un des plus beaux cadeaux que nous pouvions recevoir pour cette 30ème édition.

Related Articles